© Tous droits réservés

La Résidence, mars-mai 2020

Livre de photographies accompagné des textes de Ivan Jablonka et  Fabrice Arfi

Extrait du texte de Ivan Jablonka, historien et sociologue:

Cela faisait quelque temps que Magali Delporte voulait travailler localement, documenter la vie de son quartier. Ses premières photos du confinement témoignent d’un départ : trois familles qui partent à la campagne. Mais les autres, ceux qui restent ? Magali Delporte décide de reporter les commandes « urgentes » de ses clients, alors que sa carte de presse lui aurait permis de travailler à l’extérieur. Elle va travailler, mais sur place.

Elle sort de chez elle, comme si son appareil photo allait la protéger, mais elle demeure à demeure, dans la Résidence. Elle s’assigne à résidence. Cet espace enclos par quatre rues, rue des Maronites, rue du Pressoir, rue des Couronnes, rue Julien-Lacroix, devient sa résidence d’artiste. Un lieu donné en un temps donné : telle est sa source d’inspiration. Elle s’engouffre dans la brèche spatio-temporelle ouverte par le covid. C’est ainsi que le confinement, tel un sombre miracle, a libéré son travail.

Extrait du texte de Fabrice Arfi, journaliste:

Quand, au mois de mars 2020, le premier confinement s’est abattu sur la France, telle une chape de plomb sur nos existences, un étrange phénomène s’est produit dans le quartier de Belleville-Ménilmontant, au Nord-Est de Paris.

Cela s’est passé dans une résidence composée de lourds immeubles des années 1960 séparés par de grands espaces verts : “Le Pressoir”.

Alors que partout dans le pays ce mot hideux de “distanciel” s’est imposé dans notre grammaire collective, nous, les 1.500 habitants du “Pressoir”, nous sommes retrouvés.

Alors que partout le mot d’ordre était le repli sur soi, nous nous sommes découverts.

Alors qu’il fallait s’auto-autoriser par attestation à sortir de chez soi, nous avons reconfiguré notre chez nous, comme on le pouvait, sans prendre de risques inutiles face à la maladie qui, partout, guettait.

Condamnés au dedans, nous avons donc inventé notre dehors. Des petites choses. Des concerts improvisés, mêlant des musiciens professionnels et des amateurs. Des cours collectifs, sous l’arbre, pour les petits. Des leçons de sports pour les plus grands. Une entraide entre tous pour les courses à manger. Des petites solidarités entre générations. Des désagréments aussi, bien sûr, comme dans un village…

Et, au milieu de ce drôle de laboratoire existentiel, sorte de kibboutz urbain placé sous la cloche d’une pandémie mondiale, il y avait Magali Delporte, “notre” photographe, qui a saisi ces instants uniques qui ont fait du “Pressoir” l’un des secrets les mieux gardés de Paris.